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ÇA IRA !
des vacarmes, s’engouffre dans les salles
nocturnes où gigotent, sur un morceau
de toile, des personnages muets, à moins
qu'il ne perde son temps à avaler un
liquide visqueux, excitant, qu’est la bière.
A mes côtés il paraît un pygmée et ses
voisins aussi, tant cette race a perdu en
force et en beauté. Un poids de cinq
livres l'étrangle. Une souris lui occa
sionne de telles démangeaisons aux
orteils, qu'il saute comme un kanguroo,
et m'assure qu'il adore le tango. Il dispute
de politique sotte, où les vocables socia
lisme, internationalisme, bolchévisme
indiquent — dit-il ■— des tendances
modernes de la pensée humaine. (Bol
chévisme ? Cela consiste à ne pas tra
vailler et à voler les autres. Socialisme ?
Je ne me rappelle plus le sens de ce mot.
Internationalisme ? L’art d’une femme
que nul de ses amants ne soupçonne
d’être une concubine universelle.) Ah !
mon cher eunuque, je regrette le sérail
d’Isqahan, où Zachi, aux seins roses, et
Zélis, aux doigts embaumés, prodiguent
des caresses laseives et des paroles onc
tueuses comme de la mélasse. Quand je
pense à leur amour, à leur passion, à
leur hystérie, je suis mélancolique comme
Edgard Poe.
Dupatelin est malheureusement marié.
Sa femme est stupide. Elle danse, matin
et soir. Elle confectionne des robes qui
sont des sacs à café. Elle n'est pas jolie,
ce qui est une qualité. Maintenant,
l’amour n’est plus une offrande mais une
besogne physique... Madame Dupatelin
est insupportable. Elle est grosse et s’en
plaint avec une rage inconcevable. Son
mari en pleurt. Il reproche à son épouse
d’ignorer les moyens d’éviter les enfants,
et se courrouce à l’idée qu'il sera, bien
tôt, père pour la douzième fois. Une
pareille honte ne s’est oncques vue. A
peine, ajoute-t-il, sur l’air des lampions :
Mein Vaterland musz groszersein ! (Ma
patrie doit être plus petite).
Il est intellectuel, j’entends qu’il est
acoquiné avec des hommes barbus et
vénérés, avec des femmes paresseuses
et bavardes. Parfois, il les rassemble
chez lui, et cette affluence constitue un
“ cénacle „ , dont il est le directeur-pro
priétaire. Là, les heures passent à griller
des cigarettes, à roucouler selon des
thèmes cacophoniques, à marteler une
cage de bois d'où jaillissent des sons
crispants, à médire du prochain, à con
tester les mérites des œuvres actuelles,
et à conter quelques historiettes dont
la moralité est de se pervertir sans lassi
tude. Ils éditent une gazette...
Non ! mon cher eunuque, ces hommes
ne sont pas des hommes. Ces femmes
ne sont pas des femmes. Ce sont des
pantins.
J’ai souillé ma peau à la leur (Ne le
raconte pas à Fatmé !) Ils célèbrent
l'ordure et se vantent de leur vanité.
Ce sont des machines.
Sois béni. Soigne mes femmes avec
zèle. Procure-leur tous les plaisirs qui
sont innocents. Par le courrier prochain,
je m'étendrai sur d’autres sensations.
Celui-ci t’apporte encore des pralines
pour Zachi, des jupons pour Roxane,
un parapluie pour Zéphis, et de la
poudre de riz (marque " premier aveu „)
pour Zélis. Tu partageras entre leurs
compagnes les kilos de nougat que je
joins au colis.
Le 6 de la lune de Zilhagé, 1920.
Usbek.
Willy KONINCKX.