PIERRE REVERDY
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l’argent a joué un rôle capital. Il n’est que temps d’ailleurs d’insérer ici
un détail dont chacun saisira la réelle importance.
En effet la rue s’apprête à protéger le vainqueur qui cherche à perdre
son désespoir dans les tourbillons du brouillard descendant et sous les
franges débordantes de la nuit. Personne ne peut s’expliquer cette fuite
alarmante pour la santé du nouveau champion, autant que pour sa
renommée et pour sa forme qu’il risque de perdre à jamais dans le
dédale obscur des rues de la cité. Et ne voyez-vous pas que toutes les
plaques portant un nom viennent de sauter d’un seul coup! Pour souli
gner encore l’étrangeté de ce phénomène assez significatif, les monu
ments ont insensiblement rectifié leur position et les lampes s’alignent
autrement dans l’espace.
Mais suivons ce jeune homme suprêmement intéressé aux mystères
absorbants et sympathiques de la nuit.
Nous le voyons par un inexplicable privilège qui abolit toutes les
difficultés de la poursuite en même temps que l’impénétrable opacité
de la matière, se diriger vers les rives basses de la Seine.
Il marche, le côté droit du corps formant un angle de 45° avec la
terre ferme. C’est une habitude prise en regardant les photographies
qui le représentent en train de porter à son adversaire le coup foudroyant
qui lui a valu sa renommée. Le voilà parvenu sur les quais de pierre
dure où les matelots sans logis viennent reposer pendant quelques
heures leurs membres rompus par la fatigue.
Comme s’il avait perçu dans le silence un étrange signal — un coup
de sifflet donné au moyen de l’obélisque ou de la colonne Vendôme —
il s’arrête scrutant l’ombre des parapets et les arches du pont sous
lequel passe au même moment un noyé très ancien ne souriant plus que
par habitude et dont le front, poli par les vagues glacées, brille comme
un fanal.
Il attend. Et voilà qu’apparaît dans le lointain un bateau blanc qui
écarte la nuit en glissant sur l’eau douce du fleuve. Si à ce moment un