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LE ROMAN
(i) Songeons au divin Marquis,
André Breton est plus héroïque, Aragon est plus divin. Il découle tout
droit du ciel, sans passeport et sans explications. Chaque fois que je
le revois, je ne peux m'empêcher de chercher ses ailes. Si j’imagine les
anges, c’est sous ses traits. Et jusqu'à cet «insolent vêtement», fait
plutôt pour le vol. Point d'erreur possible : la marque de fabrique de
Dieu est là.
En d’autres termes, je veux dire que je perçois chez Louis Aragon,
d'une façon très nette, cet écho d'en-haut, ou d'en bas, ou d'ailleurs,
cet écho «ahumain» qui est proprement inexplicable. Des hommes sont
sur terre, mais pensent et parlent hors de la terre. Appelons ce phé
nomène divinO, ou infernal; ça m'est égal. Aragon écrit : «Des messia
niques et des révolutionnaires, j'y consens».
Il écrit encore : «Je ne pense à rien si ce n'est à l'amour. » Il en traite
en connaisseur, quoique sur le mode éthéré. Il en parle comme un
papillon. A la vérité, il m'arrive parfois de voir l'amour plutôt comme un
large frottement de peaux. Chez Louis Aragon, la peau n’a pas le beau
rôle. Il ne cherche que le nerf. Je songe à ce chapitre qui s'appelle :
La Femme Française. Et qu’on ne vienne plus après cela m’embêter
avec Stendhal 1
Chaque phrase est un bel animal. Elle est parfaite en soi comme est
parfait en soi un lièvre, un tapir. Elle a cette propriété merveilleuse
de répondre au vœu de l’espèce. Ce n'est ni un tableau, ni une portée
de musique. C'est de la belle prose. (Ahl cela agace fort Messieurs
les classiques, que Louis Aragon, dada, écrive la meilleure prose clas
sique!) A côté de celle-là, toute autre prose apparaît guindée, fabri
quée. Celle d'Aragon est née en l'état, elle est ainsi et pas autrement,
et je ne sache pas qu’on put y changer un i. On parle aussi de Voltaire.
Mais Voltaire a fait Æérope. Que pensez-vous de Æérope, Aragon ?
Voltaire n'aurait pas écrit : «Il n'y a que les excès qui méritent
notre enthousiasme».
Hors les excès de langue, Aragon !
Joseph DELTEIL