Communisme et Art dramatique
par Henriette Roland-Holst v, d. Schalck
Pas plus que la société capitaliste ne
peut être réformée en une communauté
où puissent vivre des individus fiers et de
culture universelle, il n’est possible de
réformer le théâtre dans le sein de cette
société en un lieu consacré où l’individu
puisse trouver, dans l'expression idéale
de l’art, le plus pur de son âme. rattachée
à l’âme collective. Le caractère de l’art
dramatique de chaque époque dépend
des caractères de la société et ceux
qui veulent “purifier,, et “élever,, le
théâtre contemporain sans se soucier
de l’état de sa nourricière la Société,
agissent comme un médecin qui voudrait
rendre à un homme au sang vicié un
teint éclatant, des cheveux lustrés et des
yeux rayonnants sans purifier son sang
et sans renouveler les sèves de son corps.
Pour remplir son projet insensé il usera
de toutes sortes de remèdes artificiels qui
donneront tout au plus, l’apparence
momentanée de la santé, mais qui ne la
seront pas.
Ainsi toute réforme de l’art drama
tique dans le capitalisme ne peut rester
qu’une apparence. Le théâtre réformé
veut représenter des valeurs qui n'exis
tent pas dans la collectivité. Au point de
vue objectif — en dehors des intentions
subjectives des réformateurs — il est de
cette façon inévitablement plus men
songer que le théâtre non-réformé, lequel
montre ouvertement son but : aiguil
lonner la lascivité et tuer l’ennui.
Tous ceux, poussés par idéalisme
ou par un noble désir de gloire, ont essayé
depuis plus d’un demi-siècle de trans
former le théâtre en un temple où l’hom
me quittant le mouvement et l’activité
incessants de la vie, puisse renaître au
calme noble et profond furent, sans ex
ception victimes de leurs illusions, qu’ils
aient été créateurs ou acteurs et organi
sateurs. Depuis Wagner jusqu’aux ré
formateurs contemporains apparait une
file interrompue de personalités capa
bles, énergiques et visant haut, qui
n'approfondissant pas suffisamment l’es
sence du capitalisme et ne saisissant pas
les rapports des phénomènes intellectuels
avec les phénomènes sociaux ont vu l’or
de leurs idéaux se changer en clinquant.
Réussir était pis pour eux que faillir
parce que la réussite ne pouvait se pro
duire que par l’abandon de leurs buts
les plus purs.
Ce fut la mode qui remplit leurs tem
ples et non pas le besoin des hommes de
renaître dans la haute sérénité de l'œuvre
d’art. Et au lieu de l’attention dévouée
sur laquelle ils avaient compté pour
sanctifier l’atmosphère de ces temples,
ce fut le snobisme insinuateur qui y pé
nétra, le snobisme qui corrompt tout, le
snobisme au souffle empoisonné et
nauséeux.
II
L’argent peut tout, dit-on. Il procure
à ceux qui le possèdent tous les trésors
de la terre et tout pouvoir sur les
hommes.