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L’ŒUF DUR
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voulez-vous chaloupée ? » Sur la terrasse d’un vieux chaume, une
demoiselle de Paris enseignait les danses modernes à une fdlette
qui, dans sa bonne volonté, contraignait exagérément son corps à
des balancements rythmés et cette initiation vulgaire évoquait
des images pénibles de vices antiques maladroitement renou
velés.— Boue, vulgarité, sottise, mais puissance : la vie rurale de ce
temps ? Bruits grivois, casquettes à damiers, VInternationale fredon
née, des fdles ennuyées, passives, des roucoulements, quelques exci
tations factices. « Il est là, ton roman campagnard dont la ges
tation sera la vie, et tu oses à peine le regarder », pensait Jean.
Et ses yeux blessés cherchaient à s’évader, vers des images plus
rieuses, des papillons de contes de fées, des couleurs claires et
diluées. Jean fut un enfant : il chercha de jeunes garçons silen
cieux et pâles et de toute jeunes fdles dont les mains seraient
encore parfumées des caresses de poupées.
Auprès du bal, parmi les énormes buis soigneusement façonnés
d’un jardin rustique, Lucien Lafourcade, lycéen de seconde et
boursier, fds de l’instituteur de Saint-Michel, rêvait à côté de
quelques jeunes fdles qui conversaient entre elles, — sans mot
dire, — avec des rires et des silences. Jean connaissait un peu
Lucien : il entra dans le jardin. Il n’avait rien à dire ; mais les
visages jeunes avaient trop d’expressions interrogatives ; Jean
parla de ce qu’il aurait aimé taire : la réussite de ses premières
ambitions ; et, il se posa comme une autorité aux yeux de
ces enfants dont l’admiration était à la fois trop facile et un peu
indifférente. Ainsi, tandis qu’il souhaitait vivre sincèrement
leur legéreté et leur insouciance, il se reléguait lui-même dans
un monde lointain et inaccessible. Jean pensait : « Lucien, je
connais sans doute ta vie ; elle restera toujours encadrée par
des manches de lustrine noire et par un beau texte grec harmo
nieux, difficile et inépuisable ; j’aime ta douce inquiétude d’au
jourd’hui auprès de ces jeunes filles ; tu éprouves quelque chose
de trouble et tu aimerais le leur dire en voilant ton émotion
par des réminiscences classiques : tu es timide. J oute ta vie sera
là dans cette velléité de parler et dans ce souci de garder la mesure
de tes auteurs préférés ; et pour toi les femmes seront des amies
qui te sauront gré de tes délicatesses, mais désappointées par ton
absence soit d’audace, soit de scepticisme, t’abandonneront
infailliblement. Par là même, sans connaître aucune victoire
sentimentale et par conséquent aucune déchirure affective réelle
ni aucune satiété, tu remettras sans cesse en question ton cœur
insaisissable et tu seras peut-être plus heureux que les amants.
Ainsi, Lucien, j’aurais aimé te faire d’une voix amie la confidence
de ta vie ; et, après avoir quitté le doux regard de tes yeux qu’avec