AVENTURES D’UN FRANÇAIS EN ALLEMAGNE
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avons eu la révolution? A Berlin, où je fréquentais souvent avant la
guerre, quand nous prenions les bains d’Ems, je goûtais un extraordi
naire plaisir enfantin à commander : Auto! avec mon mauvais accent
russe, parce que, Otto, c’est le nom de mon beau-frère, le mari de ma
sœur Elisabeth, Lisa pour sa famille prussienne. Otto Borutta, le Con
seiller de Commerce, le grand marchand de tableaux. Il est ruiné. L’ex-
pressionismus l’a ruiné. Je vous dirai plus tard, si cela amuse Monsieur.
Aujourd’hui, Otto a formé un méchant petit ballet avec Lisa, ses deux
sœurs, Grite et Mona, et un ancien page du Kaiser. Quelle honte ! Scan
dale! Est-ce que ça n’est pas mieux de monter les malles, puisque je
suis fort?
A Moabit, Lionel, sans trop de peine, car les indications du Prince
étaient en partie inexactes, atteignait au gîte celui pour lequel son journal
le déplaçait à si grands frais. Hans Macke, le vieux révolutionnaire,
l’un des pères vivants du Communisme, l’élève de Marx, le prisonnier
de Spandau protestant du fond de son cachot contre l’annexion de l’Al
sace-Lorraine, le seul socialiste prussien ayant publiquement répondu à
l’Empereur faisant, du haut du balcon de Potsdam, tournoyer le glaive
de la Vieille Allemagne devant un peuple ivre d’être le peuple élu. La
rédaction parisienne à laquelle appartenait Lionel attachait un grand
prix aux réponses que Hans Macke accepterait de faire au petit ques
tionnaire remis à l’envoyé spécial. La première question touchant au
problème des réparations pouvait être tout ce qu’on voulait; une large
publicité s’offrait au vieillard séditieux si l’on supposait qu’en fin de
compte sa réponse ne saurait desservir notre cause. La seconde question
apparaissait plus spécieuse au rédacteur en chef, réfractaire à l’utopie,
admettant sans la glorifier la guerre ainsi qu’une cruelle nécessité, non
pas divine, certes, d’essence non pas céleste mais tellement de la planète.
A Hans Macke, qui jamais n’obéit qu’aux élans de son cœur, à Hans
Macke qui avait écrit « Pères de tous les pays, ne donnez plus vos fils