TRISTAN TZARA
91
racontais ce qui passait par l’entonnoir de la mémoire : les voyages
et les vacances. Mais le vent soufflait très fort, il était jeune, et les
arbres passaient à travers sa force. L’amie était toute blanche et trem
blante, mais je la ramenais au calme en la persuadant de ma haute
position sociale.
LE COEUR A L’ENVERS
VI. — tentative de meurtre d’une femme qui s’ennuie
Dans son petit village d’Octeville-sur-Mer, mariée depuis deux ans
à peine, Germaine-Louise Cottard s’ennuyait. Son mari, pourtant, était
un brave homme, cordonnier de son état, et qui, chaque matin, se ren
dait à bicyclette à son atelier, au Havre. A quoi rêva, durant ces lon
gues journées d’absence, la jeune femme, livrée à elle-même? On ne
pourrait le dire... Les voisines, avides de calomnies, racontent qu’elle
recevait certaines visites trop assidues. Peut-être. Il est vrai que le
mariage ne lui avait donné aucune des joies qu’elle en attendait. Elle
n’avait que vingt ans.
Chose bizarre : Germaine avait été une jeune fille très sage. Quelles
déceptions ont pu à ce point la changer? Quelles rancœurs l’ont assaillie
jusqu’à la faire penser au crime? On sait seulement que sa joyeuse
humeur s’évanouit et qu’une persistante tristesse envahit son regard. Elle
demeurait souvent de longues heures immobile derrière sa fenêtre. Son
ménage était bien tenu et sa mise restait coquette. On la disait fantasque.
Personne ne l’aimait beaucoup...
Un jour, à une diseuse de bonne aventure, elle posa une étrange
question :
— Quand mon mari mourra-t-il?
Une autre fois, à la Salle des Ventes, elle s’informa sur la rapidité
de la mise aux enchères des meubles et sur les délais qu’il fallait prévoir
pour toucher l’argent.