TRISTAN TZARA
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C’est assez curieux que les étés aient tracé dans ma tête de plus
clairs dessins que les autres saisons, et en appelant mon enfance, je ne
vois que ce qui se passa sous les auspices du soleil. Les choses avaient
besoin de son éclairage pour se stabiliser sur la couche sensible de ma
mauvaise vue.
Quel est le garçon qui n’a pas senti des courants suspects ondoyer
dans sa sensualité quand, pleurant, sa mère lui serrait la figure contre
son sein, et prolongé cette sensation pour se venger de la dureté du
père? Le frôlement de chaleur des jupes soulève en lui d’obscures insi
nuations qui se dévoilent pendant l’adolescence en soupçons incestueux.
L’attraction est intense, et d’ailleurs réciproque.
Une nuit que mes parents étaient absents — j’avais à peine dix ans —>
je sortis en chemise par la fenêtre de ma chambre, traversai une terrasse
et entrai dans la chambre d’une bonne que je taquinais déjà depuis
quelque temps sur ses rapports avec un garçon d’écurie. D’où ai-je pris
le courage de me mettre à côté d’elle, sans rien lui dire, grelottant
de peur et de froid et m’efforçant de rire? Elle faisait semblant de dormir.
Malgré les détails persistants qui roulent dans ma tête et que souvent
on est prêt à prendre pour des vérités à cause de leur ampleur, je ne
suis pas sûr que cette scène n’ait pas été un demi-rêve de fièvre. Je ressens
pourtant l’écho lointain des battements de cœur qui l’accompagnèrent.
Aux abords de ce doux et acharné printemps, l’héroïsme se dressait
pour la première fois en moi avec son irréfutable séduction.
J’avais peur le lendemain que mes parents n’apprissent tout. Les domes
tiques étaient au courant de l’aventure. Elle mettait un tapis grossier de
honte sur moi. Fallait-il reculer ou avancer dans ma tentative? Je fis les
deux en même temps, en m’affublant d’un visage bête secoué parfois
par un rire fiévreux et faux.
Quel étrange et perçant désir doit demeurer dans l’enfant vibrant à
l’appel de tant de secrets, décomposant avec des mains fraîches la
pourriture des mystères, pour qu’il me poussât à jouer avec mes cama