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LIVRES
LA VÉNUS INTERNATIONALE, par Pierre Mac Orlan (N. R. F.)
Les romans nous ennuient : encore des personnalités. L’intelligence
est lente à s’émouvoir de sa faim : des amours troubles, des plaisirs
nouveaux peuvent un instant la distraire. Bientôt on ne peut plus la
contenir avec des hochets, des nouvelles à la main, l'accordéon des
images et de petits récits adultérins. Il nous manque un décor entier
de la vie morale. L'heure est aux Evangiles ; une robuste foi coloriée
égayera un peu ces matins gris.
Qu'un homme entier se présente devant nous, avec des mains qui
ont cherché à satisfaire sa peine, qui se soit inquiété de découvrir un
axe véritable, une hampe, un système où se reposer, où enfin trouver
l’équilibre — ceux qui nous présentent de simples récits ronds comme
des pommes risquent bien de les garder pour des cidres plus corrosifs.
Nous voulons des conseils, des préceptes, qu’on dépouille les voiles et
nous montre les chemins, qu'on nous initie à des épaisseurs, des éclats,
des poids nouveaux.
Mac Orlan s'y attache, sa détresse est véritable. Il cherche depuis
deux ans le sens exact du costume du siècle, les aigrettes bleues des
tramways, les voix des femmes au téléphone, les chèques, les mitrail
leuses humides d’huile, les drapeaux faits avec des ceintures. La dou
ceur étirée du symbolisme ou la chaste propreté classique n'épousent
pas ces contours anguleux : dans ce siècle sans mythologie rien n’amor
tit le heurt d'une âme inquiète et qui sait se dépouiller, avec la vie
de l'époque. Sans points de contact avec le monde, Antée, s’il ne peut
toucher la terre, perd ses forces, s'anémie.