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JEAN EPSTEIN
logie. J’ai dit plus haut, d’après Abramowski, le rôle esthétique du
subconscient.
Je tiens à le prédire. L’esthétique qui n’était rien jusqu’ici, demain,
à cause de cette découverte et de celles qui en découleront, sera à peu
près tout. Toutes les sciences, toutes les religions méprisaient l’esthétique.
Les arts se méprisaient entre eux. Il n’y avait d’esthétique que particu
lière, spécieuse, petite, agressive, filoutée, incertaine et troublée. Tout
cela en dix ou vingt ans va changer. La psychologie expérimentale
découvre un ordre nouveau, l’ordre esthétique. C’est là une phase de la
vie intellectuelle de l’humanité dont on ne peut encore ni justement
évaluer l’importance, ni prévoir tous les effets.
Il faut se rendre compte cependant que si l’espace et le temps* nous
permettent de juger dans un consentement universel, en dernier ressort,
ce sont des jugements esthétiques que nous énonçons. Non pas qu’alors
nous soyons délivrés du sentiment, de l’amour et des passions, mais
parce que cet amour et ces passions et ce sentiment sont à leur forme
suprême, sous leur aspect le plus évolué, des sentiments esthétiques.
<( C’était une belle époque », « C’était le beau temps » dites-vous cou
ramment, et en le disant, loin d’être indifférents, vous jugez esthétique
ment. C’est ainsi que l’esthétique vous donne d’une chose, non pas sa
valeur absolue, qui n’existe pas, mais sa valeur le moins variable, sa
valeur le plus évoluée dans le temps et dans l’homme. La maturité de
toute chose possède ainsi en propre un caractère esthétique. Une civili
sation atteint son apogée en même temps qu’un style, et par style je ne
veux pas seulement parler d’architecture ou de mobilier, mais je veux
dire un ensemble esthétique. C’est cette esthétique qui alors marque
l’époque pour l’éternité humaine. Parmi la série des vérités, l’esthétique
est donc la première par rang et la dernière en date, comme succédant
à toutes les autres.
Il faut se rendre compte que l’époque présente pourrait non seule
ment apporter son esthétique particulière, une esthétique, discernable
dans quelque cinquante ans, mais encore apporter l’esthétique générale