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paraissait même plus aux repas. Parfois, il fuyait le logis en
égaré, pour revenir tôt. On pensait qu’il allait prendre son
repas. Mais où? Consultés par leur mère, les enfants ne la
purent satisfaire. Le fils, Horace Dalibert, lecteur à l’Univer-
sité de Santa-Cruza, en congé, laissa clairement entendre que
(( le vieux était bien d’âge à déménager » ; la fille, Amélie,
répondit tout net qu’elle refusait de s’intéresser à quoi que ce
fût jusqu’au jour qu’elle aurait achevé à sa satisfaction cette
cantate qui lui vaudrait immanquablement le Prix de Rome, le
premier attribué à une jeune personne de son sexe.
Qu’en pensait Prosper Popinède, astrophysicien considé
rable et collègue de Dominique Dalibert à l’Académie des
Sciences?
— Chère madame Dalibert, tout ce que je puis vous signi
fier de précis, d’exact, c’est-à-dire soumis à la preuve immé
diate, c’est que Dominique Dalibert ne prend point ses repas,
ainsi que vous en admettiez l’hypothèse, en quelque cercle
parisien. Mon fils Hubert, l’officier de cuirassiers, les connaît
tous et mon éminent collègue n’est, à sa connaissance, inscrit
à aucun d’eux. Cessez encore d’imaginer qu’il se sustente au
sein de notre famille académique. J’ai le devoir de vous
détromper. Il n’existe à l’Institut ni mess à la façon militaire,
ni réfectoire à l’imitation des couvents, pas même de buvette
comme à la Chambre. Au surplus, je vous dirai — sans l’im
pertinence de donner une leçon à une amie respectée ! — qu’il
n’y faut point penser. Alors que la bonne Phrosine, avec cette
divination des humbles, dirait vrai, et quand notre grand
Dominique n’aurait pour aliment que la moitié du mou de son
chat, rejetons toute angoisse et sachons attendre. Suis-je le
moins du monde offensé qu’il m’ait refusé sa porte? Qu’il n’ait
pas même paru entendre mon nom que lui disait Phrosine,