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vais pas encore assez savante... que j’allais te remettre à
l’école... Rassure-toi, Poustikette, nous sommes une créature
accomplie... nous n’en sommes plus à réciter du Condillac...
il t’assomme ce bon abbé de Condillac... Pourtant... que
devrai-je alors choisir dans ce fatras... de plaisant à épeler...
si, de progrès en progrès, nous tentons d’apprendre à lire?...
Venez çà, Poustikette, impatiente! orgueilleuse créature!...
Hé oui, l’on a confiance en votre science et votre simulacre
figurera en bonne place, allié au mien, sur le monument que
nous dédiera la postérité... Mieux encore, ma mie!... Je vois
fort bien au quartier des Ecoles la rue de la Chatte Pousti
kette!... Allons, dites ce qu’ont vu ces beaux yeux d’or, dites
ce qu’a pensé cette petite tête aiguë enrobée de fourrure...
dites... dites, Poustikette et songez que cette heure qui sonne
est la plus pathétique qui jamais ait sonné sur le monde
depuis... allons... PARLEZ, Poustikette!
Dominique Dalibert endurait le martyre. Terreur que
Poustikette ne parlât plus. Terreur de l’entendre parler, mais
cette fois parler, traduire une pensée, toutes choses par l’œil
surprises, c’est-à-dire comme une personne et non pas à l’imi
tation de Coco Vevert, le perroquet du voisin, le baron Pooph,
sénateur des Indes, ou à celle de Margot, la pie boiteuse,
voleuse et borgne, de la portière. Terreur de l’entendre tra
duire une pensée de bête en langage humain.
Il souffrait jusque dans sa chair, outre que la sueur inondait
sa vieille face, quelque chose comme le châtiment qu’eussent
pu lui infliger, qui de la dent, qui de la griffe, tous les autres
chats de la terre en expiation du sacrilège. Entendez que le
crime était non pas d’avilir le langage humain au jargon ron
ronné d’un beau monstre velu, mais de délier l’animal assu
rément divin du devoir merveilleux de se taire.