UN DIMANCHE A GUICHEN
95
peuses, exubérantes, et familières. Elles ressemblent à un mort quand
elles sourient ou à un enfant. Depuis 189... pourtant, ô Larché, ces
dames sont féministes : une institutrice est partisan de l’union libre, une
autre déclare qu’on doit se passer des hommes, une troisième qu’ils sont
des esclaves. Ces discuteuses ont offert à la ville une conférence con
tradictoire; la troisième a été la plus applaudie. M. Hennin, marchand
de produits chimiques, fait le commerce avec l’Angleterre. La Biblio
thèque prête aux adultes les œuvres d’Aristide Bruant et le musée s’est
mis en cave pour ressembler à Cluny. Mais Larché ne désarmera pas :
(( Voilà un pays qui a une fortune sous la main, dit-elle, il est houil-
ler! » M. Grouillard a répondu dans son journal par un poème inti
tulé : (( Pas pour les trésors de l’Oural! »
Qui n’a pas sa chimère? O ma chimère, j’ai souffert par toi! chimère,
je t’en veux! qui n’a pas sa chimère? tu m’as forcé à regarder un tiroir
d’acajou, parce qu’il y a un revolver dedans et les pavés de la rue quand
j’habitais une mansarde. Quelqu’un l’a dit : « Une bête sur le dos!
une bête nous fait crier et nous ne savons pas la tuer! « Tords-lui le
cou! » dit la raison! ah! ouiche! nous regardons ailleurs! le ciel! le
ciel! le ciel! et la bête profite de notre distraction pour nous dévorer
le ventre. Songez, vous qui connaissez ma ville, combien tout cela est
guichantois. Je ne serai jamais, moi, qu’un Guichantois, un paysan de
Guichen. Non! non! pas de charbon! ne parlez à des chimériques de
rien autre que de leur chimère. Paris est trop calme dans son activité
intelligente, assez intelligente par-ci par-là, pour avoir des chimères.
Pourtant Paris a la Tour Eiffel et la Tour Eiffel, ce rêve sublime
d’arriver à Dieu, pourrait à la rigueur passer pour une chimère. Voici
la chimère de Guichen : la marche du (( Prophète » s’envolant d’un
orchestre profond! Sigurd, dont la musique militaire nous enseigne,
le dimanche, les refrains favoris enfin vivant! sur les planches d’un
théâtre! le septuor de Lucie suivant l’archet d’un chef et ses sauterelles.
Lucie! ainsi M. Lécuel appelle-t-il la Fiancée de Lammermoor pour
paraître familier avec un chef-d’œuvre. Il aurait appelé Donizetti
Gaëtan, pour nous tromper de façons analogues. A quoi rêvent nos