CHRONIQUE D’ART
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fut un moment compromis par quelques peintres plus tur
bulents que talentueux, va renaître plus forte que jamais,
et trouver sa définitive expression dans un solide bloc de
matière bien terrestre.
Est-ce vraiment pour aboutir à cette sorte de bas
réalisme que les impressionnistes renversèrent les pots de
bitume de leurs prédécesseurs ?
— Peut-être conviendrait-il, à ce propos, d’analyser
l’attitude des impressionnistes, et de cbercber à voir quel
serait le meilleur moyen d’assumer leur héritage, tout en
essayant d’adopter une technique plus en accord avec la
sensibilité nouvelle.
Qu’est-ce qu’un impressionniste ? C’est un homme
qui n'a pas de mémoire — ou qui ne veut plus s’en référer
à ses souvenirs. Seul, dans son atelier vide, il ne trouve
aucune source d’inspiration ; il lui faut, pour trouver motif
à peindre, la présence d'objets nouveaux. Ces objets, il
n’en fera pas le tour, il ne les analysera pas, un par un,
il n’en étalera pas sur la toile la subtile énumération,
comme un primitif, mais, à l’inverse de celui-ci, il les con
fondra, grâce à la perception simultanée qu'il aura d’eux.
C'est la fusion de ces objets qui lui donnera /'Impression
la plus agréable, et qui déclanchera son désir de peindre.
Dès lors, le nuage et son reflet dans l’eau, perçus en même
temps que l’arbre et la maison, ou que la vache et la
prairie, ne s'imprimeront pas dans l’esprit du peintre
impressionniste avec tous leurs détails anatomiques, mais
d'une façon incomplète, fantômale, métaphorique. L’im
pressionniste, notant des rapports plutôt qu’exprimant
des objets délimités, remplacera ceux-ci par une figure
allusive, raccourcie, image fluide et nouvelle de son hal
lucination devant ces paysages instables dont son esprit
et sa main épousent la mouvance.