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BLAÏSE CENDRARS
ville. Il ouvrit cette dernière. Elle était signée Rosabelle. On le priait
de bien vouloir venir le lendemain.
Que pouvait-elle bien lui vouloir? Après toutes leurs effusions pas
sionnelles de péripatéticiens épistoliers et leur silence, brusque, de deux
ans, voulait-elle lui expliquer les causes de son ennui, de son dégoût,
de sa fatigue? Il eut un méchant sourire. Certes, il irait; il est toujours
agréable de ratiociner sur l’amour avec une jeune femme indolente...
oui, non... enfin, il se déciderait le lendemain.
L’autre lettre était ainsi conçue :
« Mon bien-aimé! — Le baiser d’adieu brûle encore sur ma
bouche et l’étreinte de la séparation a déchiré mon cœur, du haut en
bas. Venez! Nous n’avons pas eu le temps de nous aimer, — mes
examens, mon départ précipité. Venez! Je vous suis toute soumise.
O mon cher toi, je t’aime!
(( J’ai fait une admirable traversée. Le Chicago est un vaillant
bateau. Nous avons été secoués par une formidable tempête. Ci-joint,
comme je vous l’avais promis, mes impressions de voyage.
« Dans huit jours, mon cours d’ouverture.
(( Des baisers. Je t’aime! « OLYMPIE. »
P. S. — Mon mari m’est bon comme un grand frère. Il est très
sage. Venez. Il m’a promis de vous procurer un emploi de bibliothé
caire. — Je t’aime. O. »
... Elle aussi! La chair de la femme est donc insatiable, n’est point
apte au mensonge? Quelle brutalité! Femme, tu aimes le scandale,
tu te déshabilles pour un bain d’adultère. — Mets des voiles, mets
des voiles, — je suis las de la chair crue!...
Ainsi, l’une désire entendre le pipeau de ma voix, se prendre à l’ap-
pas de ma lèvre, et l’autre, qui y a déjà goûté, me promet des Floride
de caresses, des Californie de baisers. Pauvres petites sottes, je suis
las d’être un mâle!...
Mais, mais, et il tapotait, déjà rêveur, les lettres, —
un voyage