ÇA IRA !
35
-tes sont lents et purs, l'expression mobile
et finement ironique, la parole douce et
brève.
Le cadre unique de l’atelier accentue
encore la troublante impression que
produit cette mystérieuse personnalité,
La lumière, tamisée par les rideaux des
fenêtres, éclaire vaguement un grouille
ment inimaginable de bibelots et de
poteries de toutes sortes. Des delft pré
cieux, d'antiques porcelaines flamandes,
de belles potiches japonaises y voisinent
avec de vulgaires verroteries et des
vases dénués de toute valeur, mais qui
charment le regard par leur éclat parti
culier ou leur forme inattendue. Sur des
guéridons, de superbes coquillages font
éclater leurs pâleurs nacrées. De somp
tueuses tapisseries alternent curieuse
ment avec de vieux chiffons, dont les
couleurs fanées se parent parfois de
subtils reflets. Sur des chaises, de vieilles
robes de satin dégagent un délicat
parfum de choses surannées. D'horribles
masques, bizarrement surmontés de
coiffures anciennes, grimacent dans des
encoignures sombres, à côté des formes
frêles et blanches de petites statuettes
antiques.
Tout cela forme un extraordinaire et
paradoxal assemblage, qui tout à la fois
étonne et captive....
Mais ce qui plus que tout attire le
regard, ce sont les toiles innombrables,
éparpillées dans tous les coins. Elles
tapissent les murs, surchargent les chai
ses et les commodes, encombrent le
plancher. D'aucunes, les plus favorisées,
sont entourées d'un humble cadre de
fortune, d’autres sont fixées à la mu
raille à l'aide de quelques punaises,
d’autres encore, détachées de leurs
châssis, sont enroulées en gros paquets
et s'étalent négligemment à terre.... Et
quelle stupéfiante variété ! Il en est de
lumineuses, au coloris chatoyant, qui
sont toute allégresse et toute gaieté ;
il en est de sombres et de cruelles, dont
la vue suggère un mystérieux effroi.
De morbides virions d'un monde où
grouille un peuple de squelettes et de
monstres difformes, contrastent violem
ment avec les coquillages irisés des
nature-mortes et les délicates idylles,
dont les personnages — ballerines
légères, pierrots et colombines — s'agi
tent élégamment au milieu d'un paysage
de rêve. De larges fresques, dont l'une
représente une impossible procession
biblique s'avançant au milieu de la
populace de Bruxelles, couvrent des
murs entiers. En regard, de minuscules
eaux-fortes contiennent, dans leurs petits
cadres dorés, d'interminables multitudes
gothiques....
Et, devant cette oeuvre constituée
par des contrastes d'une telle intensité,
l'esprit dérouté ne peut comprendre que
les divers éléments en soient issus d’un
même et unique créateur. Ce vaste
ensemble ne se laisse enfermer dans
aucune formule et se dérobe à toute
analyse systématique. Les tendances les
plus diverses, les plus opposées même,
s'y coudoient, mais au lieu de se com
battre, s'harmonisent pleinement. Un
réalisme âpre y est mis au service d'une
imagination effrénée, hantée par les
fantastiques visions d'un monde supra-
terrestre.
Ainsi l'art d'Ensor allie en lui les
aspirations mystiques des Primitifs et le
plantureux sens du réel des maîtres de
la Renaissance flamande. Et, à ces