DRIEU LA ROCHELLE
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de choses dont on voit encore dans le monde présent les traces impé
rieuses, coupées ça et là par des pistes neuves et déroutantes dont nous
ne voyons pas le but. Et c’est ainsi que, dans la terreur de certains
mots qui, aussitôt échappés, auraient donné à sa conduite une signifi
cation décidément subversive, toute sa vie s’organisait dans une hypo
crisie obscure, contre ses croyances.
Lui qui se prélassait parmi les hommes de plaisir les plus veules, les
intelligences les plus licencieuses, il ne souffrirait jamais qu’on fît de
vant lui un mot contre les prêtres; mais il ne songerait jamais à entrer
dans une église où quelques femmes supplient encore les gardiens du
musée de leur expliquer le secret bienfaisant des tableaux et des statues,
où quelques hommes volontaires luttent contre le lugubre engourdisse
ment de l’âme du monde. Et tout d’un coup, le dimanche, entrent et
sortent les dernières familles, les mains croisées sur leurs tares.
Il ne dirait jamais du mal de l’Armée et pourtant je me rappelle
que trois ans après la guerre, j'étais allé avec lui à une fête militaire
et que je l’y avais vu affreusement décontenancé. C’était au champ de
manœuvres de Vincennes. Les tribunes étaient pleines de familles mili
taires, d’un Président de la République en redingote gris fer, de géné
raux rouge et or qui, rangés sous cette tente, nous rappelaient les livres
de prix de notre enfance, si ennuyeux, si mensongers, si dangereux.
Pendant deux heures, nous n’osâmes plus penser à la jeunesse de nos
amis qui avaient passé l’examen et obtenu de mourir.
Des chevaux, des chevaux, encore des chevaux. En avions-nous
jamais vu sur un champ de bataille? Nous n'aurions pas été davantage
étonnés de voir défiler les éléphants d’Hannibal. Des régiments de cava
lerie défilaient au galop avec des sabres, alors que la dernière charge
s’était effondrée un siècle auparavant. Dans quelle rêvasserie vivent les
peuples et leurs chefs?
Et puis soudain, des cris, une musique étrangère, des cavaliers arabes.
La foule s'excite à cet illusoire exotisme. Les Français inconscients