DRIEU LA ROCHELLE
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histoires de guerre, pauvres histoires tronquées qui tournaient court dans
la mort ou dans l’infamie de l’arrière.
Nous parlâmes des femmes, gauchement. Français, pourtant, nous
avions hérité de la science des corps, sinon des coeurs. On ne l’aurait
pas cru; nous nous rappelions en tâtonnant un sein, une hanche, sans
pouvoir dire des noms jamais sus. Nous avions roulé, nos cœurs étaient
des pierres sans mousse. Toutes ces femmes, frêles aiguilles affolées
par ce gros et long orage qui nous avait fait sortir. Nous rentrions,
rincés, avec de drôles de visages qui les inquiétaient, qui les exaspé
rèrent.
Ce furent d’étranges soirées que celles-là, où il nous fallut faire nos
premiers pas dans la vie qui décidément était notre lot. Entre hommes
encore, nous errions dans les boîtes de nuit. Dans un domaine étroit et
profond, nous avions accompli des actes. Dans notre sang qui coulait,
nous avions vu un amour prodigieux. Il n’était pas épuisé. Nous au
rions voulu faire quelque chose de plus. Si les hommes avaient osé,
si les femmes avaient su.
Mais tout le monde se tourna le dos. La guerre n’avait été qu’une
parenthèse dans la paix. En notre absence, quelque chose s’était encore
détraqué. Grands enfants que nous étions, nous fûmes pris au dépourvu.
Comme nos aînés, il nous fallut improviser la paix, comme il leur avait
fallu improviser la guerre.
Dans un café-concert de quartier, on resservait de vieilles tempêtes.
II y avait là, étayée par les faisceaux électriques, debout, une chanteuse
qu’on appelait Impéria. Elle était nue dans une robe noire, elle avait
un beau poitrail de vache qui aurait pu avoir du lait, elle avait des
dents. Le dernier siècle qu’on croyait voir crever, soudain secoué de
delirium tremens, se roulait dans le ruisseau de sa voix qu’elle faisait
râler. Elle portait toute la tradition : le coup de gueule de 1830, le tour
de hanche de 1880. Elle chantait pêle-mêle les petits soldats, les mères
qui ne feront plus d’enfants, la haine des Allemands, l’amour battu.