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TRISTAN TZARA
Toutes les histoires sur un bateau sont intéressantes, les grandes et les
petites : celles des commerçants grecs établis en Espagne, des directeurs
des services importants de ministères, des femmes qui ont aimé et qui
aimeront encore longtemps. Je voyage seul. Quand j’aimais une femme
pour la constance de son esprit qui mettait une grande clarté dans ma vie,
pareille à ses cheveux blonds, je n’avais pas assez d’argent pour voyager
près d’elle.
Aujourd’hui, je sais que l’amour est un collier de mots reliés par la
chaleur timide du sommeil des pensées.
Un jour, cela finit, par ma faute, et ce n’est pas seulement le regret
qui m’écrase sous la fumée lourde de son fer, aux heures finies qui ne
finissent pas, mais aussi la conscience de mon erreur voulue et irréparable,
circonscrite par un blocus sentimental. La saturation amoureuse — cette
plénitude, comprimée de « bonheur » — nous engage à prendre un élan
artificiel, écoulé d’abord par une fente négligeable de notre organisation,
insaisissable et souverain, il s’épanouit ensuite dans sa puissance affectée.
Les autres facultés n’ont plus le moyen de rejoindre l’échappée. Et la
course aux regrets accomplit l’image de confusion. Mais laissons cette
histoire au bord du lac où elle est moins nuisible; elle fut provoquée
par une pluie abondante, une fuite de gaz, une lampe et un incendie de
branches frappées par les blessures vivantes.
La brutalité et la vulgarité que j’ai employées à étouffer son souvenir,
me font encore trembler comme à l’approche des étincelles douloureuses.
A chaque nouvelle rencontre avec une femme — regrets tardifs, lune
sans miel — je m’entoure de froideur chrysanthème.
Entre les boissons et les jeux, les trains et les amis, le cœur avance sur
la piste des vacances. Mes ressources vitales, restées inaperçues et intactes,
n’étaient pas encore soumises à la discussion générale.
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