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L’ŒUF DUR
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le docteur Walpole l’a fort bien constaté depuis. Je trouvai à
Douvres un exprès qui m’informait que les intrigues de la
comtesse, ma tante de La Grange-Batelière, m’avaient procuré
un poste dans la diplomatie polonaise afin de mettre un frein
à mes déportements. Je couchais donc avec la baronne malgré
son âge, ainsi qu’avec les soubrettes et les filles de cuisine, et
au lieu de prendre la route de Paris, je crevai mon cheval à
lui faire suivre celle de Rome, pour y faire viser mes passe
ports et obtenir le grand sceau. Nous arrivâmes en plein car
naval : dominos, polos et lotos couraient sous des costumes
charmants, et j’eus plus d’une occasion de montrer le tempéra
ment amoureux que je tiens de mon oncle. Le jeu et les femmes
devinrent le principal de mon existence : tous les miroirs des
boudoirs reflétèrent mon nez précocement bourgeonné et ma
perruque défrisée, et c’est miracle que je n’aie pas été pendu
cent fois dans Rome. Enfin ! las de cette existence indigne d’un
jeune homme à peine sorti du collège, et qui faisait le malheur
de son père, bien que celui-ci ne se soit jamais plaint, je renon
çai à l’idée d’aller me jeter à ses pieds pour lui demander son
pardon. Ah ! que j’eusse aimé pourtant une explication à ce
sujet. Ah ! que mon cœur plein de tendresse eût aimé à débor
der dans un entretien avec ce vénéré père que je n’estimais
d’ailleurs que juste ce qu’on doit d’estime à un père qu’on
sait pourri de vices et ruiné par le jeu et les femmes. Ce fut aux
pieds d’un moine théatin des environs de Naples que j’allai
me jeter et je lui fis le récit de mes déportements et de mes
fautes. Il me conseilla de rejoindre mon poste dans la diplo
matie et me reconduisit ainsi que mon précepteur jusqu’au
milieu des montagnes de la Calabre, alors infestées de bri
gands qui manquèrent bien de me garder avec eux, ce que
j’aurais accepté à cause de leur soubrette qui me dépouilla
de tous mes ducats. Nous nous quittâmes le plus galamment
du monde après une partie de pharaon où je regagnai les ducats
volés et mon porte-manteau. Arrivés sur le Rhin, mon pré
cepteur et moi nous ne pûmes traverser les lignes ennemies,
et c’est ainsi que je me trouvai forcé de prendre les armes
contre mon pays d’adoption, car certainement, né dans le Pié
mont d’une mère savoyarde comme toute la famille de Pletz-
Mœringen et élevé à Cologne, bien que j’en aie dit, j’ai tou
jours eu une grande admiration pour nos hommes de lettres,
notamment pour les latins. Deux fois blessé à Northlingen
comme lieutenant du 51 e chasseur, de Saxe-Breslau, je parvins
à m’échapper déguisé en laquais et à me réfugier dans un cou
vent où je laissai dans le cœur de chacune des novices des traces
de mon passage. Arrivé à Varsovie, le roi qui était à son jeu