sentiment. Et c’est pareillement à l’occasion et au moyen d’une succession
de phénomènes, qu’on peut avoir conscience de posséder une notion de
temps. Mais il faut prendre garde et éviter une confusion facile ; cette
succession n’est que le moyen selon lequel, cette fois, cette notion se rend
mieux apparente.
On reconnaît en effet que la vie normale d’un organisme s’accom
pagne tout aussi naturellement d’une production de sentiments que d’une
production de température, d’anhydride carbonique, etc. Ces sentiments,
peut-être assez mal déterminés au début, restent latents plus ou moins
jusqu’à la circonstance qui, enfin les fait paraître dans une manifestation
plus grossièrement perceptible. Mais si vous dites d’un homme dont vous
croyez qu’il vous fâchait il y a une heure: Maintenant, il m’est indifférent,
n’oubliez pas qu’en fait, c’est vous qui êtes indifférent à lui, indifférent
comme un accumulateur déchargé. L’amour qu’un individu tient en
stock, se manifeste subitement non à cause, mais à propos d’une femme.
Cette femme n’a pas inspiré l’amour. Plus facilement l’amour aurait
inspiré à l’homme, cette femme. En tout cas, c’est le sentiment qui la
détermine, et non elle le. Et si je disais que les sentiments, produits de la
vie d’un organisme, sont au début, assez mal déterminés, il faut entendre
qu’ils sont déterminés tout de même. Le peureux ne produit que sa peur ;
le joyeux, que sa joie ; et le sujet de la peur de l’un pourra servir à la joie
de l’autre.
Pareillement la vie d’un organisme complet ne va pas sans produire
dans cet organisme une notion de temps. Les qualités de cette notion la
permettent de considérer comme une sorte de sentiment. Mais, comme
n’importe quel objet, sauf au cas d’une surcharge et d’une surproduction
sentimentales vraiment excessives et, alors, pathologiques, n’est pas ca
pable d’attacher à lui et d’user un sentiment préexistant donné, ainsi aussi,
seuls, un aspect et une modalité particuliers des phénomènes, sont propres
à être l’occasion plus ou moins concrète où se manifeste vivement la notion
de temps. Cette modalité est une succession de régularité variable, un
rythme, ou sans régularité. Dire donc que l’homme n’a pas notion du
temps en dehors du mouvement des choses, c’est dire environ que l’homme