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L’ŒUF DUR
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le clavier restait à peu près muet, laissant néanmoins des possi
bilités, très riches mais incertaines, dont la présence plutôt
devinée que sentie blessait Justin comme une mutilation vague
mal localisée. Porchère avait rompu avec ses maîtresses et,
sans d’ailleurs y réfléchir, était revenu à une chasteté absolue.
Par un curieux détour des choses de l’esprit, cette ascension
triomphale et sereine vers la volupté qu’avait marqué la der
nière étape amoureuse de sa vie, avait fait pour lui de la volupté
même une sorte de point mort, mais elle avait sapé les bastions
intellectuels dans lesquels il enfermait sa sensibilité raisonneuse
et analytique ; agacé, Justin était revenu à ses livres, aux sensua
lités du xvm e siècle, il avait multiplié les marches et les contre
marches sur ce terrain de dissection facile qui lui était cher ;
il avait révisé son dédain des métaphysiques et tenté de revi
vifier ses honnêtes espérances d’un court rationalisme. Mais en
vain : des brûlures s’associaient à son raisonnement, et, au
milieu de cette fièvre morale qui le gagnait, Porchère assistait,
stupéfié, à la ruine de cette force, de cette simplicité dont il
avait si souvent tiré une joviale fierté.
Une veille de Noël, à la tombée du jour, Porchère, ses articles
terminés, laissait errer ses regards sur un catalogue de jouets
chargé d’images colorées, de saveurs enfantines. Justin atta
chait peu de prix à ces nostalgies sur les premirèes heures de
la vie ; sorti très vite de l’enfance et pauvrement élevé, il ne
voyait dans les réminiscences redondantes des fantaisies du
premiér âge qu’un luxe bourgeois assez plat, une sotte façon
de s’attendrir. Cependant, ce soir-là, tourmenté par de nou
velles inquiétudes, il avait besoin, sinon de revenir amicalement
sur son passé, du moins de mettre un accent quelconque sur
cette atmosphère de fête, sur ce Noël dont la joie lui revenait
par bouffées et ramenait des pâleurs, des confusions dans son
esprit ; et la nécessité de décider s’imposait à lui. Le mariage ?
Il revoyait des étudiantes hautaines et laborieuses ; de quelques
salons qu’il avait fréquentés se détachaient des impressions
élégantes : des doigts fins autour d’un sucrier, une amabilité
froide, une certaine estime admirative pour sa valeur, mais
quelque chose de lointain, d’irréductiblement étranger ; et,
à l’idée de la vie matrimoniale, Justin n’apercevait qu’une
longue suite de responsabilités lourdes et maussades, de fausses
tendresses, des aigreurs sourdes impossibles à éviter. Harassé
par ce chassé-croisé continu de pensées sans issue, Porchère
résolut (moyen quelconque d’occuper son esprit) d’aller entendre
la messe de minuit à Saint-Sulpice.
Porchère était à peu près étranger à la religion : il avait hérité
de son tempérament et de ses lectures une certaine horreur pour