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ÇA IRA !
signes étrangers, avec la naïve qui ima
gine que les violences de demain vont
créer la bonté d'après-demain. Dans nul
avenir — ou à lointain qu’il se confond
avec le rêve — dans nul avenir un peu
saisissable et précis, nous ne voyons
sourire le destin. Ceux qui comme Jouve,
regardent sans illusion
...porteront en eux
Le désespoir qui n’a plus de rives,
Mais qu’ils aient la force de Jouve : ils
feront éclore d'eux même et étaleront
...sur les eaux lugubres
Deux grandes ailes d’amour et de vie
Nous avons renoncé
Au sortir de ces enfers,
Tandis que l’humanité fait son somme
Avant les enfers suivants,
nous avons renoncé aux mensonges de
tous les paradis extérieurs, Mais cha
cun de nous se veut une limite à l’enfer,
folie multiforme. Toujours, grâce à quel
ques cœurs et à quelques raisons, Caris,
la Grâce, l'Amitié, l’Amour, l’Harmonie,
survivera aux coups répétés du destin.
Tant que nous vivrons nous protégerons
la flamme que d’autres nous ont léguées,
que d’autres garderont après nous. Elle
est immortelle, comme le destin son enne
mi. Mais elle recule, aussi farouche, de
vant les armées rouges ou devant les
armées blanches ou tricolores ; et elle
fuit le viol des multitudes inorganiques
comme le rut des régiments. La virgi
nité de notre âme sans haine échappera
au baiser sanglant des révolutions cata
strophiques comme elle a échappé au
baiser boueux de la guerre.
Vous vous rappelez, lecteurs du N°
de mai de “ Ça Ira „ :
Vois une autre haîne s’approche,
Elle porte le droit des pauvres,
Elle veut le prendre en ses bras.
O mon âme, tu sais de quel côté est
la justice. Tu sais aussi que demain,
sauf au sanctuaire que tu es et au sanc
tuaire de quelques âmes fraternelles, il
n’y aura nulle part parmi les violences
hurlantes, ni droit ni justice
O mon âme d'amour, :
Ton regard n’aime pas les révolutions
Car tu te tiens bien plus avant dans l’Eternel
O mon âme d’harmonie.
Tu as des yeux pour enfermer la ligne entière
Pacifique du ciel
De quelle pitié tu les aimes, ceux-là
qui sont écrasés aujourd'hui et cruelle
ment enchaînés. Hélas ! pour la plupart
les chaînes dont les chargent leurs enne
mis sont faites de chaînes intérieures.
Demain tu vas les voir, qui sait ? déli
vrés en apparence. Ils expriment direc
tement au dehors leur servitude la plus
profonde. Tu le sais, ils n’auront pas la
sagesse de laisser tomber sur le sol leurs
fers brisés. Ils les brandiront, gestes
furieux et qui frappent. Ils deviendront,
devenant des meurtriers, semblables aux
assassins qu’aujourd'hui ils maudissent
avec toi.
Tu les aimes avec crainte, o mon âme
de justice, tant que leur geste dort dans
l’incertitude du futur. Tu souffres leur
souffrance. Souvent tu essaies d'ennoblir
leurs espoirs. Mais tu recules bientôt,
car leurs espérances refusent de répudier
haine et vengeance. Tu les voudrais
pour compagnons,
Mais tu ne peux descendre
Si bas dans la clarté
Que tu sois mise en rang
Un fusil au poing