ÇA IRA !
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les émotions les plus intimes que lui
suggère la vie. Et cette fois-ci la forme
est à la hauteur de la vision synthétique
qu’elle doit exprimer. Elle aussi tend
sans cesse vers plus de simplicité, vers
plus de style. Joostens aspire à réduire
le rôle des moyens d’expression â sa
véritable proportion. Selon lui, la joie de
la couleur, le savoureux empâtement de
la matière ne doivent pas être buts, mais
moyens. D’ailleurs, il ne se sent que
médiocrement attiré vers ces effets
faciles qui accaparent le meilleur de
l'effort et empêchent d’approfondir
l’idée ou le sentiment de l’œuvre. Obte
nir un maximum de qualité à l’aide
d'un minimum d’application manuelle,
voilà le véritable but. La couleur en
tant que couleur ne l’intéresse pas ; il ne
l’admet que comme véhicule de la sen
sation à interpréter, Aussi ses dernières
toiles sont-elles loins de la débauche de
tous criards et grossiers, chers à nos
pe'ntres impressionnistes. Tout y est
nuance, délicatesse et raffinement. Les
couleurs ne s’y heurtent pas en accords
étourdissants : une teinte générale, dont
les reflets se dispersent sur toute
l’étendue de la toile, agit doucement sur
la sensibilité du spectateur. La Muse
élégante, une des dernières œuvres de
Joostens, est caractéristique à cet égard.
La simplicité des moyens en est sur
prenante : quelques légers frottis de tons
pâles et pour ainsi dire fondus dans
l’atmosphère générale, quelques traits
s'incurvant élégamment entre les facettes
colorées. Et cependant c’est tout le
mystère, toute la voluptueuse perversité
de la femme éternelle qu'il a enclos dans
cette toile, à la fois frivole et lourde de
sens profond. La fixité cruelle de l’unique
prunelle a un charme obsédant, qu'ac
centue encore la préciosité des détails
synthétiques qui encadrent la figure
principale. Objective à première vue,
l’œuvre se hausse cependant jusqu’au
lyrisme le plus complètement indépen
dant de la forme extérieure : car ce n’est
pas tant la signification de chaque ligne
ou de chaque couleur, prise à part, qu’il
s’agit de pénétrer, mais bien de se laisser
envahir par l’émotion qui se dégage de
l’ensemble. C’est le rythme de l'œuvre
qu’il importe de percevoir et non pas le
son spécial émis par chaque note.
Et ici nous nous heurtons à un des
plus fâcheux ma 1 entendus qui séparent
l'artiste du public. Quand donc celui-ci
comprendra-t-il qu'il est vain de lui
expliquer au moyen de longs discours le
sens exact des moindres détails d'une
peinture, que cela ne peut lui être
d’aucun secours s’il n’est pas frappé de
prime abord par l’harmonie et la solidité
de la construction plastique ? Quand
donc s’abstiendra-t-il de harceler l’artiste
de questions saugrenues et indécentes
au sujet des plus petites particularités de
la technique ? D’où lui vient cet incessant
besoin du pourquoi et du comment et
ne se rend-il pas compte qu’il est des
intentions que nul n'a le droit de pénétrer
de force et que le peintre lui-même ne
saurait commenter d’une façon trop
précise puisqu'elles dérivent des impul
sons les plus obscures de son être sub
conscient. L’art n’est pas une science
et une interprétation raisonnée et sèche
ment quantitative (chaque objet étant
minutieusement pesé et mesuré) des
valeurs réelles ne constitue pas la base
du tableau. Ce n'est donc pas le devoir
du peintre d’en déflorer le mystère par