L’&criture de Delacroix est un geste decisif. Pour citer Theophile
Sylvestre — un des seuls contemporains, apres Baudelaire, qui l’aient
juge a sa mesure — il combine l’ampleur des formes avec le senti-
ment de la vie. Plus rapide encore que le jugement, cette 6criture
va droit & l’essentiel, de sorte que nous admirons jusqu’ä ces cor-
rections apparentes qui l’ont fait mepriser longtemps de certains
critiques pour qui la proprete, le joli, le fini, sont, en art, les seuls
criteriums: «Je n’ai commence ä faire quelque chose de possible,
&crit-il, qu'au moment oü j’ai assez oublie les petits details pour ne
me rappeler que le cöte frappant et poetique. Jusque lä j’etais pour-
suivi par mon amour de l’exactitude que le plus grand nombre prend
pour la verite.»
L’ensemble important de dessins et d’aquarelles qu'a pu reunir
la retrospective de Zurich permettra de suivre, parallelement aux
toiles, l’&volution du style de Delacroix et les influences qu'il a
subies, surtout dans sa jeunesse, influences des maitres du passe,
influences de ses amis. Tel nu est encore d’inspiration toute prudhon-
nienne: ailleurs c'est Rembrandt, c’est Watteau, ce sont les grands
venitiens (qu'il n’a pourtant jamais connus dans leur patrie), c’est
Goya, c’est Rowlandson qui le hantent. Il s’est plus ä les copier, ou,
plus exactement ä les «interpreter». Souvent c’est par l’entremise
de reproductions mediocres qu'il s’est approche d’eux: avec une sorte
de divination il a reconstitue leurs chefs d’ceuvre. Mais au Louvre, ä
Bruxelles, & Anvers, nous sommes t6emoins des t@te-ä-t&te avec ses
dieux: et rien n’est plus pathetique que tels Rubens, que tels Rem-
brandt r&ves par Delacroix, collaboration merveilleuse entre gens de
la m&me trempe! Pareillement le souffle de Gericault et la tendresse
de Bonington continueront ä conduire ses crayons et ses pinceauX;
ses deux grands amis survivront en lui. Autre fusion non moins rare:
Jjes poetes, Dante, Shakespeare, Le Tasse, Walter Scott, Goethe,
Byron Iui dicteront ses sujets. Sans souci d’illustration litterale, il
s’enflammera A leur contact. Les suites de Faust, d’Hamlet ou de
Di